jeudi 27 juillet 2017

Peut-on progresser spirituellement en vivant dans le monde ?

Vieille question !



Aujourd'hui, la tendance est à "l'intégration".
La plupart des offres nous promettent d'adapter
les traditions et les pratiques à notre vie,
plutôt que l'inverse.
Mais est-il vraiment possible de progresser
en pratiquant seulement dans la vie quotidienne ?

Dans les courants non dualistes,
ou qui s'en approchent,
la tension a toujours existé
entre le choix d'une pratique dans le monde,
avec une famille, un travail, etc.
et, d'autre part, une vie retirée, 
entièrement donnée à la pratique.

Parmi les partisans de la retraite longue ou à vie,
il y a le Védânta, le Dzogchen, Mahâmudrâ
et les ordres monastiques catholiques.

Parmi les partisans d'une vie spirituelle dans le monde,
il y a le Yogavâsishta, le tantrisme non dualiste en général,
les tiers-ordres catholiques et la Reconnaissance (Pratyabhijnâ).

Or, en contexte non dualiste,
ce questionnement est réellement pertinent :
si tout est "enveloppé" dans l'essentiel (Dieu, la conscience, l'espace
de la conscience, le jeu divin...),
alors la pratique ne doit-elle pas, elle aussi,
"envelopper" ou embrasser toutes les activités quotidiennes ?

Voilà pourquoi plusieurs sages de ces courants non duels
ne donnent que peu d'importance aux rituels, au yoga
et à la méditation.

Ainsi, Outpaladéva peut-il chanter :

"En ce chemin sans artifices
- chemin de Dieu - 
nul besoin 
de yoga, ni d'ascèse,
ni de cérémonies :
seul compte l'amour"
(Hymnes I, 18)

"Amour" (bhakti) désigne ici l'acte de reconnaître (pratyabhijnâ) chaque acte 
comme une branche vivante de l'Acte divin créateur.
Ainsi, amour et connaissance bien compris
font de la vie quotidienne le temple où l'adepte
s'avance jour après jour vers le Sanctuaire,
à la fois toujours déjà atteint et jamais gagné.
Dans l'approche conciliante de ce maître exceptionnel
que fut Outpaladéva,
mystique et philosophie sont les deux faces
d'une même intimité avec l'Autre,
une proximité si intense
qu'elle rend inutile tout autre pratique.
Dans ce cas, une retraite longue,
une vie retirée, semblent inutile.
"Seul compte l'amour"...

Mais peut-on réellement progresser
sans des retraites longues et rigoureuses ?
Cela me semble indispensable.
D'une manière ou d'une autre,
c'est un passage obligé de la vie intérieure.

Celle-ci, en effet, comporte deux volets :
1) reconnaître l'Essence (notre vrai visage, le silence intérieur,
la présence de Dieu...)
2) stabiliser cette reconnaissance afin qu'elle devienne continuelle.

Sans ce second volet, on plonge, on boit, mais on ressort (ou on retombe) frustré,
avec un indéniable sentiment de gâchis. 
Or, comment "stabiliser" sans une pratique elle-même stable ?
Outpaladéva et certains maîtres dzogchen prônent les "micro-pratiques",
brèves mais répétées souvent. 
C'est sûrement une bonne manière de débuter.
Mais, sur le long terme, le pratiquant va se heurter à un mur :
celui des distractions quotidiennes.
S'il ne stabilise pas sa méditation dans le cadre plus favorable d'une retraite,
comment pourrait-il espérer y parvenir dans les turbulences
de ce monde ?
De fait, même si "tout est divin",
seule la pratique la plus intense possible
permet de vivre cela.
Et ceci est vrai aussi bien pour l'expérience que pour la compréhension.
Cette dernière ne peut s'épanouir que dans le cadre
d'une méditation recueillie. 
Même si, disons, j'étudie le Védânta, et même si j'en capte
certains points, cela ne prendra racine que si je m'y donne
avec une pleine concentration.

Bref, on peut prendre la question par tous les bouts,
la conclusion reste identique :

même si tout est suspendu à la grâce,
même si toujours est toujours déjà accompli,
il faut pratiquer le plus possible,
exercer la concentration,
nourrir la compréhension,
raviver continuellement le feu de l'adoration.

Récapitulons :
dans le quotidien,
il est possible de reconnaître 
notre Essence,
de "s'éveiller".
Mais il est presque impossible
de stabiliser cette reconnaissance
sans retraite ni pratique
intensive, continuelle
et sur une longue durée.
Donc, "s'éveiller" est relativement facile,
mais "stabiliser" est très, très difficile.
Or, "s'éveiller" est certes merveilleux,
mais cela ne suffit pas à rendre heureux,
ni libre.
Il faut encore pratiquer pour que cet "éveil"
devienne une expérience continue,
sans plus aucune distraction.
Sans cela, notre vie intérieure,
malgré ses "éveils",
restera amère et frustrante,
surtout quand les accidents de la vie
surviendront.

Donc, pratiquons.

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