samedi 11 juin 2016

Ambiguïté de la conscience

La conscience est adoration, c'est-à-dire prière, émerveillement


La conscience est sensibilité.
Pour le meilleur et pour le pire, aussi.
Voilà pourquoi certains ont célébré la conscience, alors que d'autres ont vu en elle l'origine de toute souffrance.
Louis Lavelle touche du doigt cette ambivalence :

"Le propre de la conscience, c'est de rompre l'unité du monde et d'opposer un être qui dit Moi, au Tout dont il fait partie."

Simone Weil note, de même :

"Je suis tout. Mais ce je-là est Dieu. Et ce n'est pas un je".

La conscience - ce qui dit "je" - est ainsi la faute originelle, la rébellion primordiale qui veut s'associer au Tout, sans être le Tout. 
Mais

"la conscience est aussi le principe de toute rédemption, puisqu'elle permet une imitation de Dieu et un retour à lui."

Selon Lavelle, le problème est que cette réintégration au Tout exige la disparition de la conscience.
La conscience est donc à la fois retournement contre le Tout, désir d'indépendance, et aspiration à se fondre en ce même Tout, désir de dépendance. Ambiguïté de la conscience.

Toutefois, même dans la souffrance, la conscience est préférable à toute insensibilité :

"Il n'y a point d'état de la conscience...qui ne vaille mieux que l'insensibilité ou l'indifférence."

Ambiguïté de Lavelle, ou de la conscience elle-même ?

Il me semble que la Reconnaissance (pratyabhijnâ) offre une réponse plus claire - et non moins incompréhensible : cette ambiguïté, elle la reconnait (normal, dira-t-on...), mais elle la nomme à nouveaux frais. L'ambiguïté est liberté
Or, qu'est-ce que cette scandaleuse liberté ?
Elle est le pouvoir de n'être point confiné en soi-même - ce "soi-même" fut-il paix, repos, bonheur, unité, harmonie. 
La liberté est le pouvoir de devenir autre, tout en restant soi. Car si la conscience devenait autre qu'elle-même en s'altérant, à la manière dont une tasse brisée n'est plus une tasse et ne le sera plus jamais, elle serait une chose, et non point la conscience. Mais si elle était prisonnière d'elle-même, fut-ce un soi-même vide, parfaitement inaltérable et plein de soi, elle ne serait pas non plus différente d'une chose. Elle serait confinée en elle-même. Contrainte d'être "vide", par exemple, pour être ce qu'elle est. Elle ne serait pas libre.
Lavelle approche de reconnaître cette vérité quand il remarque :

"Lorsque la conscience cherche un objet en dehors d'elle et souffre de ne pouvoir l'atteindre, c'est qu'elle souffre de ses limites et qu'elle cherche seulement à grandir. Car il ne peut y avoir d'objet pour elle que celui qu'elle est capable de contenir. On peut bien dire qu'elle est enfermée en elle-même comme dans une prison : c'est une prison dont les murs reculent indéfiniment."

(La conscience de soi, I, 1,2)

Admirable remarque !
Tout est dit, en germe, comme en un murmure, comme en ce frémissement qui marque la conscience jaillissante, à l'aube de tout émoi. 
La conscience est à la fois création d'un objet, puis identification à cet objet (ce qui s'appelle vivre), et enfin dépassement de cet objet (ce qui s'appelle exister, mais aussi être distrait ; et aussi, mourir ; et aussi, transcender, se dépasser, se délivrer...) ; sachant que le dépassement de cette objet est à la fois réintégration d'un autre, dés-identification de cet autre et création d'un nouvel objet. Cela se passe ainsi à chaque instant de nos vies. Je vois cette tasse. Je deviens tasse. Je reviens à l'écran de l'ordinateur : création, mort, renaissance, recréation. Samsara ou nirvana, selon que ceci est savouré ou non. En langage bouddhiste, on dira plus volontiers que les noms et les formes sont comme des dessins tracés sur l'eau, apparaissant-disparaissant, évanouissant-évanescent.
La conscience cherche à se supprimer elle-même. C'est inévitable. Épuisée par son identification à un corps, ou plutôt dégoûté par telle expérience nécessairement délimitée, elle aspire à revenir en soi, sans réaliser que l'objet dont elle est dégoûtée est aussi elle-même. Elle désir alors l'absence de désir, un long repos, le vide, le nirvana des petits bouddhistes, l'anéantissement, la fusion dans le Tout, la perte de l'ego, l'inconscience, l'insensibilité. Mais, si ces plages de silence sont certes nécessaires, vitales même, et bienvenues en ce sens, elles ne sont que des pis-aller, des interludes rafraîchissant, et non le But, qui est infini.

Cette liberté de la conscience est la clé.
Amour est un autre de ses noms.

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